Histoire de Cormery

Les amis d'Alcuin et de l'abbaye de Cormery

Histoire de Cormery

11 novembre 2017 Patrimoine 0
 

La Ville de Cormery présente dans son aspect actuel les traces d’un passé plus que millénaire et doit son existence et son développement à la fondation d’un établissement monastique (1) qui deviendra l’abbaye (2)Saint-Paul.

 CONTEXTE – HISTORIQUE DE LA FONDATION DE L’ABBAYE

L’histoire de l’abbaye est étroitement liée à celle de Tours par l’intermédiaire de Saint-Martin, grand évangélisateur de la Gaule, évêque métropolitain de Tours (entre 371 et 397+), fondateur des premiers véritables monastères de la Gaule (Ligugé près de Poitiers, Marmoutier près de Tours). À sa mort, son tombeau devient un grand centre de pèlerinage européen.

Avec l’arrivée des carolingiens (752, couronnement de Pépin le Bref, puis 800, couronnement de Charlemagne, empereur), l’abbaye de Saint-Martin devient une des trois grandes abbayes royales avec Reims et Saint-Denis. C’est dans ce contexte que « Locus Cormarico » (a) est choisi parmi les possessions de Saint-Martin de Tours.

 APERÇU DE L’HISTOIRE DE L’ABBAYE

En ce lieu, Ithier, grand chancelier (3) de Charlemagne(b) et abbé de Saint-Martin de Tours, fonde en 791 un établissement monastique. C’est une simple « cella » (4) (celle) sur un gué de l’Indre et qui réunit des domaines agricoles appartenant à la grande abbaye tourangelle. L’illustre érudit qu’est Alcuin d’York (c), le successeur d’Ithier à Tours de 796 à 804, aidé par son ami l’abbé Benoît d’Aniane (d) introduit en 800 à Cormery 20 moines (5) bénédictins venus du Languedoc.

Élève et successeur d’Alcuin, l’abbé Fridugise reconstruit les bâtiments d’Ithier (vers 830) parce qu’indignes d’un monastère bénédictin.
La ville se développe rapidement, étant devenue un gros marché sous Charles le Chauve.Les habitants sont de plus en plus nombreux .
L’abbaye fonde une filiale, Saint-Sauveur de Villeloin (au début du 9ème siècle). Elle va gouverner un complexe de 33 prieurés (6) dans 5 provinces (Normandie, Poitou, Champagne, Bourgogne, Bretagne).

En 853, endommagée par les Normands, réparée grosso-modo, protégée par les seigneurs de Nouâtre puis par les comtes d’Anjou dont ces derniers étaient vassaux, elle agrandit encore ses bâtiments, atteignant à peu près les dimensions actuelles. La consécration solennelle d’une église neuve eut lieu en 1054.

Le monastère se dote vers 1230 d’un superbe réfectoire gothique à 2 nefs, l’un des 5 qui subsistent en France, et de la porterie, l’un et l’autre toujours en place.

En 1271, l’ensemble Tauxigny, Truyes, Louans, Bossée, Bournan va pouvoir exercer toutes les prérogatives d’une seigneurie abbatiale (7).
L’Abbaye s’étend d’Esvres à Chambourg. Le bourg entouré de fossés et de murailles et de fortification porte le nom de Ville. Petit par sa population mais grande par son rayonnement, elle est peuplée de gens de justice, d’artisans et de commerçants. Les habitants profitent de la puissance de l’Abbaye.

La vétusté du chœur et du transept de l’église romane entraîne sous l’abbé Thibaud de Châlon leur remplacement par un ensemble gothique fort admiré, financé par tous les prieurés. Un château abbatial est aussi construit à Monchenin sur un domaine récemment acquis.

Durement éprouvée durant la guerre de 100 ans, occupée et dévastée en 1353 par une bande des Grandes Compagnies payée par les Anglais sous la conduite féroce de Basquin du Poncet, ses bâtiments mis à mal, ses campagnes ravagées, la ville incendiée, les habitants tués ou déportés, les moines réfugiés à Tours, l’abbaye a encore à subir en 1412 des exactions des Anglais qui occupent Beaulieu-lès-Loches.

Il faut 50 ans d’efforts à de très grands abbés pour réparer, reconstruire, ceindre la ville et le monastère de murailles, restaurer l’église abbatiale que la population a squattée, établir l’aumônerie et la maison du sacriste, etc.…

C’est l’effort de Pierre Berthelot, Guillaume de Hotot, Jean et René du Puy, Denis Briconnet. L’abbaye paraît toute neuve. Les vitraux de Denis Briconnet sont si beaux que de leur prix on eut pu bâtir tout un monastère !

La tour Saint-Jean vient épauler le transept sud.

Les marchés du jeudi et foires connaissent une telle prospérité que de nouveaux habitants, faute de place, construisent des maisons jusqu’à l’intérieur de l’enceinte du monastère !

En l’an 1523, la peste arrive à Cormery. 500 personnes et la moitié des moines périrent, qu’on juge de sa gravité en pensant que c’était la moitié de la population de la ville. Le fléau cessa lorsque le corps de ville prescrit aux habitants de tenir leur maisons et abords nettes. Mesure d’hygiène qui nous semble élémentaires, mais qui pour les habitants du 16ème siècle était une nouveauté tant ils sont habitués à vivre dans des maisons obscures et humides et à passer dans des rues emplies de fumier !

Cormery peut alors être fier de ses deux enceintes, l’une autour de l’Abbaye, l’autre ceinturant la Ville, comportant des tours, des fossés.

 Décadence de l’Abbaye

Mais ni le système des murailles ,des douves,des Tours ou les trois ponts-levis n’empêchent les protestants d’envahir les lieux sans avoir à combattre et de piller les richesses de toutes sortes : tuyaux de l’orgue tout neufs, reliquaires somptueux, vases sacrés de grand prix.
Dans la ville plus de commerce, ni d’artisanat, foires et marchés sont déserts, la population s’appauvrit des deux tiers et les moines molestés, exploités, vivotent.De plus l’institution de la commende (8) pénalisera le fonctionnement de l’abbaye.

À la fin du 17ème siècle, l’entrée du monastère dans la congrégation mauriste (e) voit la reconstruction lente et très coûteuse de l’aile est, d’une grande salle voûtée dans le prolongement de la salle capitulaire et du trésor, ainsi que d’un dortoir de 13 cellules à l’étage. Il n’en reste que des traces.
Mais l’Abbaye ne retrouve pas sons éclat.En 1741 on ne compte plus que 10 religieux.

 Pendant que l’Abbaye perd de son importance, la Ville en acquiert.

En 1730 Cormery n’a pas retrouvé tous ses habitants mais les 130 maisons et 600 habitants rayonnent sur toute la région avec les marchés du jeudi et ses foires annuelles.
La nouvelle route du Berry, crée en 1766, notre actuelle « 943 », voit passer un flot continu de voyageurs et de marchands qui s’arrêtent dans les auberges et hôtelleries qui maintenant foisonnent.
Mais avec cette route royale, est venue l’obligation de loger les soldats quand les régiments se déplacent. D’abord logé chez l’habitant, le corps de ville devant les réclamations des habitants prend la résolution de chercher un logement collectif. C’est ainsi que le prieuré se transforme en caserne et que les habitants n’ont plus qu’à se préoccuper des dépenses que font chez eux officiers et homme de troupe !

 Grande crue de 1770

On ne peut oublier la grande crue de 1770, catastrophe dont on parla dans les chaumières pendant des générations. Dans la nuit du 25 au 26 novembre, après un automne des plus pluvieux, un véritable raz de marée, se déversa sur Cormery et les villes longeant l’Indre. Il surprit les habitants dans leurs lits. L’eau entra dans l’église St Paul, 25 maisons furent détruites sur le cours de l’Indre et tua 38 personnes.

Lorsque la Révolution surprit l’Abbaye et la ville de Cormery, elles n’avaient pas retrouvé leur éclat d’autrefois. La disette excitait les esprits, rares étaient les foires et marchés sans disputes et bagarres. Les étales renversées les marchandises éparpillées, les poules et cochons fuyants devinrent le courant des Cormeriens .

Des février 1790 la Constituante supprime les vœux monastiques et ordonne la mise en vente des monastères et de leurs biens. La Révolution fait vendre le tout « pour être démoli ». Il nous reste le plan soigné du « dépeçage » de l’église abbatiale le moulin, le four banal, le pigeonnier, la grange, la prison, le logis abbatial, le logis du prieur, 16 maisons en ville … tout se vend. Le 16 fructidor an 4 (le 16 aout 1796), l’église Abbatiale est achetée par Louis Duvau, ancien greffier de la seigneurie déjà possesseur du logis abbatial et de toutes ses dépendances. Il la revend par morceau. La vente des meubles dure cinq jours mais les bâtiments, trop importants, ne trouvent d’acquéreur qu’en 1799 alors qu’ils sont déjà bien délabrés. La tour-porche est épargnée.
Les prieurés et les terres subissent des sorts divers, enregistrés dans les documents officiels.
Pour les biens civils (anciens biens religieux prêtés à la ville par les moines) les casernes, la maison d’école, le sanitas, la halle aux grains, la ville doit les racheter pour continuer à en disposer !

 La cloche Christus

Arrêtons nous un instant en 1807. La population de Cormery est mobilisée : la loi du 13 juillet 1793 impose aux communes de ne conserver qu’une cloche pour sonner le tocsin en cas d’incendie. Or Cormery dispose encore de deux cloches : la cloche sans nom de l’église paroissiale et « Christus ». Le 5 mars le préfet envoi une équipe d’ouvriers enlever « Christus » de la tour St Paul. Le maire refuse toute aide et les ouvriers se retirent.

La cloche Christus, est la dernière des 7 cloches de l’abbaye qui subsiste. Elle est la plus grosse du département, un monstre de 1850 kg et la fierté des Cormeriens. L’indignation de la population et leur révolte empêche le démontage de la cloche décidé par le préfet, elle sera précipitée sur le sol dans un fracas épouvantable lorsque les habitants coupent les cordes. Mais la cloche n’est pas brisée, alors les femmes la couchent sur le coté et la roule jusqu’au pied de l’église Notre Dame de Fougeray. Le 6 avril le préfet menace de mesures administratives et même judiciaires la municipalité et les habitants si la cloche n’est pas rendue. La population découragée cède et Christus est transférée dans la tour Sud de la cathédrale de Tours en 1807, ou elle sonne encore aujourd’hui.

 Arrivée du train

100 ans se sont écoulés, le progrès apporte des outils neufs aux agriculteurs, les écoles instruisent, le facteur fait son apparition. Seul Cormery dispose d’un bureau de poste, et le facteur doit souvent parcourir 20 à 30 kilomètres à pied. Le train arrive en 1878, 10 trains par jour !

 Changement de siècle

Nous voilà en 1900, la ville prospère avec les jours de marché et les grandes foires. Sur le mail avaient lieu successivement à 10 heures le marché aux veaux, à 11 heures celui au poulet, à 3 heures celui du beurre et des œufs tous annoncés par le tambour du garde champêtre. Le commerce et les artisans prospèrent et profitent de l’affluence des gens de la campagne.

Mais le progrès mécanique s’annonce. En 1910 : la première voiture apparait à Cormery, s’en suivent le courant électrique, le téléphone, l’eau à la maison, le gaz , la télévision… Mais en même, temps toutes ces choses qui ont tant changé la situation des hommes voient Cormery, ses commerces, ses foires et ses marchés s’endormir !

 LEXIQUE

(1) Monastère : maison des moines ou de moniales.
(2) Abbaye : monastère gouverné par un abbé
(3) Chancelier : gardien du sceau.
(4) Cella ou Celle : petit monastère sans autonomie.
(5) Moine : religieux vivant en communauté à l’écart du monde dans un monastère
(6) Prieuré : monastère administré par un prieur ; un prieuré conventuel jouit de l’autonomie
(7) Seigneurie abbatiale : territoire ou s’exerce l’autorité de l’abbé ; l’abbé jouit de la totalité des droits seigneuriaux : justice, péages, marchés…
(8) La commende : en 1516, le concordat de Bologne entre le pape Léon X et François 1er, institue la commende. Il laisse au pouvoir civil la liberté de désigner les responsables séculiers et réguliers et par la même de leur donner l’usufruit des bénéfices ecclésiastiques ; ce qui déclenche la course aux fonctions lucratives. Le dernier abbé élu de Cormery est Jean du PUY .Le premier abbé commendataire est Denis BRIÇONNET (issu de la grande bourgeoisie financière de TOURS)

 NOTES

a) « LOCUS CORMARICO » : ce sont les terres gérées par un certain CORMARIC, devenues propriété de PANTALEON et PALLADIUS avant qu’ils ne les offrent a l’abbaye de SAINT MARTIN DE TOURS.
b) CHARLEMAGNE ( 768-+814 ) : image de la Renaissance Galerie des Neuf Preux en Italie. Le vêtement de l’Empereur, juxtapose à gauche la moitié de l’aigle du Saint Empire, à droite la fleur de lys et demie, de la royauté capétienne. Or Jean Conseil, abbé de Cormery à la fin du 15éme siècle, propose pour les armes de l’abbaye la même disposition des symboles. Puis ensuite Denis Briconnet sépare les deux moitiés de l’écu par l’épée en pal de Saint-Paul. C’est tout cet héritage que l’on retrouve sur le blason de la ville de Cormery.
c) ALCUIN (730-804) : Anglo-saxon, ami et conseiller de Charlemagne dirige l’école du Palais à Aix-la-Chapelle. Il est nommé abbé de Saint-Martin de Tours où il passe la fin de sa vie. Il y organise un atelier de copie, contribuant au développement de la minuscule caroline. Il est l’un des auteurs les plus prolifiques de la fin du 8ème et du 9ème siècles et le premier écrivain encyclopédique du monde carolingien. Il a joué un rôle essentiel dans la Renaissance Carolingienne et son influence a rayonné sur tout l’occident chrétien.
d) Benoit d’Aniane (750-+804) : Erudit, organisateur, il codifie les usages non écrits des monastères ; il propose aux moines d’adopter le schéma de l’office prévu par la règle de Saint-Benoit-de-Nursie (480 ?+547). La règle bénédictine est fondée sur la prière, le travail manuel et le travail intellectuel « ora et Labora » ; elle inspire tous les monastères d’Occident jusqu’au 12ème siècle.
e) Congrégation mauriste : Au 17ème siècle, en raison du relâchement de la règle bénédictine, une congrégation dirigée par Saint-Maur (disciple de Saint-Benoit) souhaite la restauration de la règle primitive. Par sa régularité et ses travaux d’érudition, la congrégation apporte une nouvelle gloire à l’Ordre Bénédictin.